vendredi 14 mars 2014

Des papas, des mamans et de parfaits enfants ( chut, arrête d'exister)

A Bonneuil sur Marne, les enfants n'iront pas au théâtre.

C'était l'histoire d'un garçon homo ( chut, ça n'existe pas) qui recueille ses demi-frères et soeurs après la mort ( chut, ça n'existe pas) de leur mère.

A Bonneuil sur Marne, il n'y a qu'un papa , une maman et un parfait enfant. Multiplié par mille, par cent mille, dans de convenables appartements. 

Tout le monde est normal à Bonneuil sur Marne. Alors à l'inspection d'académie, on a haussé les sourcils, pensé à ces mamans Zara et ces papas Celio, qui pourraient s'énerver légitimement qu'on puisse emmener leurs enfants voir une pièce qui parle d'anormaux. On a annulé.

Ah bien sûr, si les papas homos existaient, si les enfants dont la maman est morte existaient, ce serait horrible une telle décision. Ils seraient humiliés les papas homos, et les enfants dont la maman est morte aussi, qu'on décide de cacher les histoires de leurs vies aux autres, qu'on les décrète anormaux, pas beaux, pas scolaires. Mais ils n'existent pas , à Bonneuil sur Marne.

Au Perreux, les enfants n'iront pas au théâtre. C'était l'histoire d'une princesse qui ne veut pas se marier avec un prince ( chut, ça n'existe pas). 

Au Perreux, il n'y a qu'un papa , une maman et un parfait enfant. Multiplié par mille, par cent mille, dans de convenables appartements. 

Ah bien sûr, si les petites filles que le rose écoeure jusqu'à l'ennui existaient, si certaines d'entre elles pleuraient en secret à chaque poupée qu'on leur offre, à chaque collant filé qu'on leur reproche, à chaque petite merveille aux cheveux doux comme de la soie qu'on admire ( et pas elles, et pas elles), ce serait terrible d'annuler la sortie-théâtre, ce serait les jeter un peu plus à la vindicte de leurs petits camarades, puisque les comme elles on les cache. Mais elles n'existent pas à Nogent Le Perreux. 

Dans le 10ème arrondissement, la salle de consommation attendra. C'était pour éviter que des gens meurent, seuls, sur le sol gris et crasseux d'une entrée de garage, dans l'odeur de pisse d'une sanisette publique.

Mais à Paris, il n'y a qu'un papa, une maman et un parfait enfant. Multiplié par mille, par cent  mille, dans de convenables appartements.

Les usagers de drogue, ça n'existe pas, il n'y a que des toxicos, qui ne sont les enfants de personne, surtout pas les miens, surtout pas les tiens, surtout pas ceux des honnêtes riverains.

Avec le Président normal, au fond, tout redevient normal. Enfin. L'autre, celui d'avant, il en faisait trop avec sa guerre aux déviants, aux pauvres, aux différents, c'était contre-productif, ça les faisait exister.

Maintenant c'est plus simple. L'extrême-droite décide de ce qui est normal, de qui est un citoyen existant et de qui est un mythe déviant et puis le gouvernement fait en fonction de ça. Sans attaque frontale et sans barouf, à coup de de "Je préfère ne pas". 

Moi président, je préfère ne pas laisser voir aux enfants certaines pièces de théâtre. Moi, président, je préfère ne pas autoriser la PMA, ne pas accorder le droit de vote aux étrangers, ne pas donner plus de moyens aux centres IVG, ne pas ouvrir des salles de consommation.

Moi président, je préfère ne pas prendre en compte votre existence, par essence, vous n'êtes pas très intéressants, pas tellement attrayants, pas tellement sondagement payants. Desespérément minoritaires, même si tellement nombreux. Désespérément pas moyens, donc pas Français, si peu Montebourg, si peu Zemmour, si peu Bourdin, si peu Boutin. 

Si peu village, tellement en marge.

Moi, Président, je préfère le papa, la maman et son parfait Enfant.

jeudi 13 mars 2014

Candidats FN malgré eux, la bonne blague.

"Un couple quasi-analphabète dit être candidat malgré lui sur une liste FN à Louhans", titre l'Express.

Ca fait quelques jours que les articles de ce genre se multiplient, à la grande joie des anti-FN . On veut tous y croire, les gens du Front sont abusés par le Front. Ce serait si simple, que tout cela soit une manipulation, le racisme, une magouille de la bourgeoisie sur nos esprits faibles.

Tu voudrais y croire, mais tu n'y crois pas. A cause de ton couple de voisins. Des prolos, pas analphabètes, mais pas le genre à se cultiver non plus. Des gens faibles, lui timide, parti au taf dès l'aube, elle ravagée par une vieille dépression, toujours au bord des larmes.

Des petits salauds accessoirement. De ceux qui pourrissent la vie des autres, cherchant la faiblesse sociale,  reniflant de loin la faille qui place d'autres prolos encore plus bas qu'eux. Et prompts à l'exploiter une fois qu'ils l'ont trouvée, en allant chercher comme alliés, la police, le bailleur et que sais-je encore. Un jour c'est tombé sur toi. La belle lettre du fameux bailleur " des voisins se plaignent, blablaba, règlement intérieur, blablabla, attention récidive, expulsion, blablabla, merci de faire cesser ces troubles". 

Il t'a fallu douze secondes malgré ta colère noire pour savoir de qui il s'agissait. Tous les locataires de HLM de la Terre connaissent les "signes" avertisseurs de la cabale voisinesque , qu'elle se déchaîne contre le Noir, l'Arabe, l'Asocial ou le Dernier Arrivé, bouc émissaire obligé quand les connards n'ont rien d'autre à se mettre sous la dent. C'est l'absence de réponse à ton bonjour, c'est la porte qui s'entrouvre tout doucement, mais personne ne sort, et l'interstice exhale juste un soupir d'exaspération. Ce sont les conversations qui s'interrompent sur ton passage, où ta voisine figure toujours , et pince les lèvres jusqu'à saigner . Et puis bien sûr ça finit par la lettre de menaces du bailleur. 

Que tu lui brandis un beau matin ensoleillé à la sortie de l'immeuble, déclenchant les oeillades rigolardes d'autres voisins, parce que c'est pas tous les jours qu'on s'amuse, dans le bâtiment. Et sur laquelle, en larmes, tremblante et indignée , elle prétend n'avoir aucune responsabilité. Elle niera même devant l'évidence, celle des autres voisins qui bien sûr l'ont balancée , constatant que tu n'es pas le mouton qui va contrit à l'abattoir, celle du salarié du bailleur qui l'a balancée aussi, ne souhaitant pas continuer à se faire engueuler et menacer de poursuites pour "dénonciation calomnieuse". 

Dans une société où la désignation de boucs émissaires est un sport pratiqué par les gros bourgeois, où la folie sécuritaire et stigmatisante constitue l'essentiel des journaux télévisés, où Marine Le Pen se fait lécher les bottes par les trois quart des éditorialistes, souvent le prolo s'imagine autrement les conséquences de sa soumission à toutes ces saloperies. 

Ta voisine ne pensait pas que tu allais broncher, elle s'imaginait soutenue et applaudie par les autres voisins, elle savourait à l'avance le délice de la socialisation valorisante, les félicitations dans l'ascenseur , les " vous avez eu bien du courage, ces deux-là nous emmerdaient tous". 

C'est pareil pour le 24ème de la liste FN. Flatté par le petit commercial en costard cravate qui a pris le temps de le caresser dans le sens du poil, d'écouter ses récriminations sans fin sur les jeunes qui rigolent trop pendant que lui tire la gueule, sur l'odeur du mafé du 3ème et les crottes de chien sans doute semées exprès par des étrangers. Ebloui par l'idée d'être quelqu'un enfin, respecté non seulement par le VRP du Front, mais aussi par les autres voisins, celui qui ne se contente pas de parler contre les arabes et les Noirs, mais qui agit.

Avoir un petit bout, tout petit, mais un bout quand même de l'auréole de respect et de considération qui entoure Marine Le Pen, lui à qui son racisme n'a jamais rien rapporté. 

Alors on signe le petit bout de papier, un peu exalté et rêveur.

Mais n'est pas Marine Le Pen qui veut. Il y a raciste et raciste, comme il y a bourgeois et prolo. Et ton nom imprimé en 24ème et néanmoins exposé sur la place publique, c'est pas Le Pen. C'est celui du mec qui ferme sa gueule devant son patron, lequel patron te dit ironiquement " Tu te lances en politique, Dédé, fais ce que tu veux, mais moi je veux pas d'histoires chez moi, et Abdel est en colère". C'est celui du mec que ses collègues aiment pas des masses non plus, et qui trouvent qu'il est allé trop loin en pétant plus haut que son cul, que les causettes discrètes sur les jeunes collègues musulmans, c'est normal, ça mange pas de pain , faut bien se défouler. Mais que c'est pas la peine non plus de chercher les emmerdes , et qu'il vaut mieux faire le vide autour de Dédé, histoire de pas être mêlé à une éventuelle embrouille. 

D'un coup Dédé ne peut plus nier. Le racisme, c'est un truc à afficher prudemment, pas tout le temps, pas partout , quand on n'est pas Marine Le Pen. Ni le petit cravaté qui est passé à la maison.

A la télé, Marine Le Pen a gagné. Dans la vraie vie, être frontiste engagé, c'est encore un petit peu tendu, pour le prolo. 24ème de liste, ça ne rapporte rien, et finalement ça peut coûter beaucoup. Bien plus que toutes les possibilités de se défouler qui existent déjà: écrire au bailleur pour dénoncer les gosses de la famille africaine du 2ème, cracher sur la petite Rom qui fait la manche au supermarché, déposer son bulletin de vote FN dans le confort discret de l'isoloir. 

J'aimerais bien croire que je suis méchante et que t'es une victime , petit prolo raciste. Mais je vis avec toi, je te connais, je te déteste, mais je ne te méprise pas. Ouvrier, quasi-illettré, oui, et alors ? Il n'y a que les éditorialistes qui lèchent les bottes de Marine Le Pen pour penser que ce statut te rend plus con qu'eux ou inapte à faire de la politique. 

Mais t'es tout aussi intelligent que le politicien qui a fait une sortie raciste de trop, et qui va nier, parce que les conséquences sont trop grandes. Tu te croyais dans le sens du vent, mais il ne souffle pas encore assez fort pour te porter dans les hauteurs, voilà tout.

Alors ça t'arrange de jouer les victimes du FN et du petit cravaté auprès des bonnes âmes imprégnées de mépris de classe. 

Mais on sait , toi et moi, ce qu'elles font mine d'ignorer: à la base, t'as invité le FN à entrer et à boire le café sur ton canapé. A part les racistes, personne ne fait cela. 

mercredi 12 mars 2014

Chroniques de la La Grise-Hôpital

Donc, tu entres et tu es blanche. Plus blanche que les blouses usées jusqu'à la corde des infirmières, que les murs jaunis de cet hôpital de province engoncé dans la tristesse d'un dimanche.

Cette tristesse des dimanches, tu la portes au coeur comme tous les Français et tu sais qu'elle est encore plus poignante dans les hôpitaux, dans le poids nié de la tristesse des patients et des familles, dans les voix qui montent dans les aïgus pour faire joyeux et qui sonnent faux.

Il faut aller vite pour ne pas que la tristesse colle et qu'elle t'englue. Il faut trouver mille sujets pour la grand-mère alitée et briser la gêne avec la fille de la grand-mère d'en face. Une femme d'ici, ici, c'est la campagne, ici les femmes croient que les autres femmes , celle des villes les méprisentIci on croit savoir que celles qui vivent dans les métropoles regardent de haut celles qui vivent dans les bourgades endormies de mille personnes. Est-ce que tu les regardes de haut ? Possible. 

Est-ce qu'on sait ce que traduit notre regard ? On ne voudrait pas être comme "elles", c'est certain. On ne voudrait pas vivre avec mille personnes en tout et pour tout à rencontrer au quotidien. On ne voudrait pas de cette vie qu'on a appris à connaître, loin des rêveries idylliques des citadins qui s'imaginent le "retour aux sources".

Le retour aux sources s'appelle ALDI, pour les prolos d'ici. Le bio, les produits frais, patati, patata, tu sais le temps qu'il faut pour faire son jardin ?Tu crois qu'à la campagne, quand tu rentres d'un boulot mal payé, tu es moins fatigué qu'en ville ? Que tu vas aller biner, sarcler, et mitonner un purin d'orties ? 

Est-ce qu'on sait ce que traduit notre regard ? Est-ce qu'elles "savent", ces dames, et ces aides soignantes avec qui tu as brisé la glace, ce que disent leurs yeux au moment où une administrative te demande ton nom ?

Les syllabes claquent sur les murs jaunis, et résonnent dans leurs yeux. Le nom de la Grise. La pub Canada Dry, encore et toujours, tu n'es pas ce que tu parais. Où plutôt elle n'imaginent pas que ce que tu es puisse tant leur ressembler. 

La Dissonance. L'Arabe. 

C'est un moment banal, si banal que tu l'attends avec un peu de plaisir, maintenant, après tant et tant d'années, tant et tant de moments semblables. Tu as fini par aimer la surprise, l'abîme qui s'ouvre dans leurs yeux et ce film qui se déroule dans leurs têtes, à toute vitesse. Tu sais ce qu'elles font, elles cherchent frénétiquement à se rappeler si elles ont dit quelque chose, avant, dans ces mots échangés à bâtons rompus, qui aurait un lien avec les Arabes, les étrangers, l'insécurité, bref, tout ce qui aujourd'hui s'évoque si facilement, quand on ne sait pas quoi dire, le dimanche, dans la chaleur lourde d'un hôpital de province. 

Peu importe qu'elles aient dit ou non. Parce qu'on est dimanche, dans la chaleur lourde d'un hôpital de province. Parce que les vieilles dames sont là, pour longtemps, allongées dans ces tristes lits que rien ne rend plus joli, et surtout pas les pots de fleurs que tu as ramenées, comme elles. Parce qu'il est dix-huit heures, et que s'impose l'odeur fade d'un poulet-salsifis, et que tu partages avec elle la tristesse de laisser une grand-mère avec ces légumes gorgés d'eau, et cette impression lancinante qu'ici tout est recouvert de cette mince pellicule de fadeur et d'écoeurement. 

Tu ne te forces pas en parlant de ce que tu connais aussi, les médecins qui manquent dans ce petit bourg, l'ATTAC qui est si cher, et l'autre hôpital encore plus loin où l'on transfère les malades trop malades. Tu ne te forces pas en échangeant des regards de connivence fatiguée devant ces vieilles dames qui t'exposent les douleurs contre lesquelles tu ne peux rien. Tu ne fais pas semblant d'être semblable, tu l'es en partie. Tu es La Grise, métisse, disent les charitables, mais tu n'as pas besoin de charité.

Toi tu racontes l'histoire, et tu connais le poids des regards, ceux que tu affrontes, ceux qu'elles affrontent. Une chance , peut-être bien.